vendredi 13 avril 2018

Le silence de l'ange, de Heinrich Böll

Heinrich BÖLL
(1917-1985)

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Le silence de l'ange
(Der Engel schwieg)

J'ai lu ce livre "recommandé" par W.G. Sebald dans son essai sur la destruction. C'est le premier roman de Böll... mais le dernier publié, après sa mort !

L'action débute le 8 mai 1945 et met en scène trois personnages principaux : Hans Schnitzler, soldat déserteur revenant dans sa ville natale, Elisabeth Gompertz, dont le mari a été fusillé à la place de Hans, Regina Unger qui a perdu son bébé de six mois dans un bombardement. Autour d'eux gravitent d'autres personnages, essentiellement un médecin, un curé, le beau-frère d'Elisabeth. Leurs souvenirs aussi. 

Tout dans ce roman est étrange : il possède une structure narrative aussi dévastée que la ville (Cologne) où se déroule l'action. L'écrivain privilégie aussi les pronoms personnels il et elle, cite peu les prénoms ; le lecteur doit donc reconstituer la narration avec ces morceaux de personnages, comme eux-mêmes doivent reconstituer leurs vies ; comme, plus tard, ils devront reconstruire leur ville. 

Tout est dans le non-dit, les enjeux affleurent dans les quelques conversations. Pourtant, les personnages prennent forme, révèle la beauté ou l'horreur de leur situation. Il n'y a pas de justice, du moins pas celle que l'on espère. 

L'ange du titre ouvre et clôt le récit. La dernière scène est abominable : le Mal règne encore... et pour longtemps. Alors l'ange comme symbole d'espoir, comme je l'ai lu quelque part ? Immense contresens ! L'univers de Böll, dans ce livre et dans ceux que j'ai lus il y a trente ans, est pessimiste mais réaliste. La scène finale dit tout simplement que les Nazis ont gagné, pas la guerre certes, mais ils ont réussi à pourrir et à "embourber" la société. Cette pourriture et cette boue, on les sent encore aujourd'hui : le slogan n'est plus l'idée de "race supérieure" mais celle du plus, toujours plus, et encore plus... 

Dans son essai, Sebald parle d'effroi abyssal menaçant de saisir tous ceux qui ouvraient réellement les yeux au milieu des ruines et justifie ainsi le fait que ce roman n'ait pu être publié que cinquante ans plus tard. A propos de la mort d'Elisabeth Gompertz, il parle aussi d'une acedia cordis [dégoût du cœur] qui s'oppose à toute volonté de survie, de cette dépression nauséeuse et insurmontable où les Allemands, confrontés à une telle fin, auraient dû normalement sombrer. (p. 20)

Böll est le premier auteur allemand que j'ai lu : il m'a accompagnée dans mon intégration à son pays. Pour repenser son passé de façon rationnelle, puis accepter l'Allemagne telle qu'elle était dans les années 1980,  il me fallait quelqu'un qui ne mente pas, qui n'enjolive ni ne dramatise la réalité. Böll a été cette personne-là, et je lui en garde une éternelle reconnaissance. Si j'aime l'Allemagne aujourd'hui, si je reste attachée à la ville de Hambourg dans laquelle j'ai vécu plus de huit ans, si j'aime la langue allemande, c'est en partie grâce à lui.