TSUJI Hitonari
(né en 1959)
En attendant le soleil
(太陽待ち)
Présentation de l’éditeur : Dans l'île de Hokkaido, où il tourne ce qui doit être son chef-d'œuvre,
le grand réalisateur Inoue, quatre-vingts ans, attend. Il attend de retrouver
la lumière qui flottait sur Nankin en 1937, lors de la prise de cette ville
chinoise par les troupes japonaises. Cette lumière qu'il a toujours gardée en
mémoire. Shiro, responsable des décors sur le tournage, attend lui aussi. Que
son frère Jiro, grièvement blessé après un règlement de comptes mafieux, sorte
enfin du coma, de ce sommeil profond où il vit et revit inlassablement son
enfance. Fujisawa, un yakusa, attend fébrilement de retrouver un cartable
d'écolier qu'il avait confié à Jiro. Un cartable au contenu si précieux, si
dangereux qu'il a des airs d'apocalypse.
C’est
un livre dont on comprend la profondeur et les multiples facettes au fur et à
mesure qu’on tourne les pages. Pendant la première moitié, on pense que l’attente
ne concerne que le réalisateur. Il est aussi vite clair que ce dernier est à la
recherche d’un moment de son passé, plus exactement une histoire d’amour. Le
lecteur, lui, n’attend pas le soleil mais qu’on lui raconte cette histoire. Le
rythme du récit est aussi donné dès le départ, celui de la longueur, du temps
qu’on prend pour dire les choses.
Mais,
à la moitié du livre, tout à coup, l’attente se fait plurielle.
Il
y a d’abord ces « cadavres de lumière » - magnifique expression - que
collectionne Jiro et dont il nous restitue la beauté et la texture dans son
discours comateux. Il s’agit de ce point invisible qu’il recherche dans la décadence
et l’horreur du monde de la drogue dans lequel il a sombré.
Il
y a aussi le soleil aveuglant et destructeur de la bombe atomique que Craig
Bouchard attend dans sa prison d’Hiroshima, et qui se concrétisera dans le
cartable de Jiro enfant, parallèle du cartable de Jiro adulte qui contient une
drogue qui provoque dans le cerveau un soleil atomique tout aussi dévastateur
que la bombe.
Certes,
l’histoire du soldat américain, de son combat pour accepter de faire partie des
premières victimes de la bombe – pour ne pas dire des premiers cobayes -, de sa
peur de l’atomisation de son corps, est celle qui me touche le plus. Elle
contient une part d’angoisse mais elle soulève surtout un point d’éthique :
où se situe la raison, le bon droit dans une entreprise de destruction ?
Le
leitmotiv de ce roman est en effet la violence et tous les moyens qu’elle met
en œuvre pour se manifester : la haine (le réalisateur), la cupidité
(Fujisawa), le délire de pouvoir (Jiro et le gouvernement américain), le viol aussi.
Pour détruire.
On
pourrait croire que ce livre est profondément pessimiste. Ce serait une erreur.
Derrière la condamnation, il y a encore et toujours l’espoir, et la rédemption
par l’amour. Surtout, il reste la seule chose qu’il est impossible de détruire : la
poésie du monde.
Traduit
du japonais par Corinne Atlan, Belfond, 2004, 365 pages.
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