(1542-1591)
Buste du poète dans le Carmen de los Mártires
(Grenade, Espagne)
Malgré la nuit
(Aunque es de noche)
A chaque fois que je suis à Grenade, je ne manque
jamais un rendez-vous, celui avec Jean de la Croix, dans l’ancien couvent des
carmes déchaux qu’il a fondé en 1582 sur la colline de l’Alhambra, et qui
maintenant est un magnifique jardin romantique appelé Carmen de los Mártires. Toutefois, comme il arrive souvent pour les
personnes que nous aimons particulièrement, je retarde le plaisir des
retrouvailles pour mieux faire durer celui de les désirer. C’est donc un mois
et demi après mon arrivée que je décide, par une magnifique après-midi
ensoleillée, de monter le rejoindre.
Le Carmen n’ouvre que vers 16h. J’en profite pour
traîner sur la terrasse de l’Alhambra Palace en sirotant un thé, et
m’émerveiller une fois de plus - mais jamais assez – devant le spectacle de la
Sierra Nevada derrière le Barranco del
Abogado.
C’est l’heure.
Quand j’arrive près du cèdre où Jean de la Croix
aimait se reposer et méditer, la première chose que je fais est m’asseoir,
adossée au cèdre, puis écouter le bruit de l’eau venant de la petite source
voisine. Je pense bien sûr à l’un de ses poèmes, un de mes préférés, intitulé Aunque es de noche (Malgré la nuit). Alors, tout bas, je le récite, prenant soin de
mêler le son de l’eau à celui de ma voix. Le poète sourit, il trouve plaisant
cet hommage que je lui rends. Il ne s’offusque pas de mon léger accent
français, il s’en amuse plutôt. D’ailleurs, je l’entends, son rire se confond
avec le clapotement de l’eau qui coule et la brise très légère qui agite les
feuilles du cèdre.
Il y aurait tant de choses à dire sur cet homme que
j’admire et que j’aurais aimé rencontrer. Mais ce n’est pas le but de cette
chronique. Je voudrais seulement vous offrir le poème que j’ai récité en lui
adjoignant ma traduction.
¡Qué bien sé yo la fuente Je
connais bien la fontaine
que mana y corre! Qui
jaillit et coule !
aunque es de noche. Malgré la
nuit.
Aquella
eterna fuente está escondida Cette
fontaine d’éternité est cachée,
¡Que bien sé
yo do tiene su manida ! Je
sais bien où elle se retire !
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
Su origen no
lo sé pues no le tiene Son
origine ? Je ne la connais point car elle n’en a pas
mas sé que
todo origen della viene Mais
je sais que tout vient d’elle
aunque es de
noche. Malgré la
nuit.
Sé que no
puede ser cosa tan bella Je
sais qu’il n’y a rien de plus beau,
y que cielos
y tierra beben della Et que les
cieux et la terre s’y abreuvent
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
Bien sé que
suelo en ella no se halla Je
sais aussi qu’on ne touche pas son fond
y que ninguno
puede vadearla Et
que personne ne peut la passer à gué
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
Su claridad
nunca es oscurecida Sa clarté jamais ne
s’obscurcit
y sé que
toda luz de ella es venida Et je sais qu’elle est à
l’origine de toute lumière
aunque es de
noche. Malgré la nuit.
Sé ser tan
caudalosos sus corrientes, Je
sais que ses courants sont si puissants
que infiernos,
cielos riegan y a la gente Qu’ils
arrosent enfers, cieux et êtres
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
El corriente
que nace desta fuente Le
courant qui naît de cette fontaine,
bien sé que
es tan capaz y omnipotente Je
connais son ampleur et sa toute-puissance
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
El corriente
que de estas dos procede Du
courant qui procède de ces deux sources
sé que
ninguna de ellas le precede Je
sais qu’aucune ne le précède
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
Aquesta
eterna fuente está escondida Cette
fontaine d’éternité est cachée
en este vivo
pan por darnos vida Dans
ce pain de vigueur car il nous donne la vie
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
Aquí se está
llamando a las criaturas D’ici,
on appelle toutes les créatures
y de esta
agua se hartan, aunque a oscuras Elles
boivent de cette eau à satiété, malgré l’obscurité,
porque es de
noche. Parce
qu’il fait nuit.
Aquesta viva
fuente que deseo Cette
vive fontaine que je désire
en este pan
de vida yo la veo Je
la vois dans ce pain de vie
aunque es de
noche. Malgré
la nuit.
En quittant ce lieu de paix, j’ai
caressé le tronc de l’arbre. Je l’avoue, j’étais un peu jalouse. Il connaît le
poète bien mieux que moi, sans doute ce dernier lui a-t-il parlé et confié ses soucis ou joies. Il est le témoin de sa présence, de
son absence aussi.
Buenas tardes. No puede saber la Alegria de leerla Cuando habla de San Juan de la Cruz. Gracias. ana
RépondreSupprimerNo paro de escuchar a este poema tan bello ! Es mi preferido creo !
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