(El perro del hortelano)
d’après une pièce de Lope de VEGA (1618)
Diana comtesse de Belflor, est une jeune veuve vive
d’esprit mais orgueilleuse. Elle apprend que son secrétaire, Teodoro, a une
aventure amoureuse avec Marcela, une de ses suivantes. La jalousie soudaine
qu’elle éprouve lui fait comprendre qu’elle aussi est attirée par Teodoro. Ce
dernier, quant à lui, n’a jamais osé imaginer qu’il pourrait avoir le droit
d’aimer sa maîtresse ; mais les avances, certes discrètes, que celle-ci lui
fait éveillent son désir et son audace. Il se prend alors à rêver l’impossible
ascension amoureuse mais aussi sociale. Diana, de son côté, est déchirée entre la peur de se
rabaisser et l’amour de plus en plus évident qu’elle ressent pour son
secrétaire. Commence alors un ballet d’indécisions au cours
duquel elle va tout faire pour séparer Teodoro de Marcela (quand l’amour est le
plus fort) ou les rapprocher (quand sa conscience sociale l’emporte). Le pauvre
Teodoro est ainsi le jouet des intermittences amoureuses de sa maîtresse mais, tout
aussi fier qu’elle, il va se rebeller et laisser éclater sa colère et
sa frustration :
« ¿Para qué puede
ser bueno « A quoi ça rime de
haberme dado esperanzas M’avoir
donné de l’espoir
(…) (…)
si cuando ve que me
enfrío Si,
quand vous voyez que je me refroidis,
se abrasa de vivo
fuego, vous vous embrasez sans
pareil,
y cuando ve que me
abraso, Et quand vous voyez que je
m’embrase,
se hiela de puro hielo? Vous êtes aussi froide qu’un
glaçon ?
Dejárame con Marcela. Vous auriez dû me laisser avec
Marcela !
Mas viénele bien el
cuento On
dirait le conte
del Perro del
Hortelano. Du
Chien du Jardinier.
No quiere, abrasada en
celos, Vous ne voulez pas, consumée
par la jalousie,
que me case con
Marcela ; que
je me marie avec Marcela ;
y en viendo que no la
quiero, Et quand vous voyez que je ne
vous aime pas,
vuelve a quitarme el
juicio, Vous recommencez à me torturer
y a despertarme si
duermo ; et à me réveiller si je
dors ;
pues coma o deje comer, Alors
mangez, ou laissez manger,
porque yo no me
sustento parce
que moi, je ne me nourris pas
de esperanza tan
cansadas. » d’espoirs aussi vains. »
La confusion est accentuée par les deux prétendants déclarés de Diana, le comte Ludovico et le comte Federico, qui ajoutent à l’intrigue. Diana va pousser la cruauté amoureuse jusqu’à demander à Teodoro lequel des deux elle doit finalement épouser, puis lui ordonne d’aller annoncer la nouvelle à l’heureux élu. Ce qu’il ne fait pas, parce que Le Chien du jardinier est une comédie : tout finit bien, grâce à l’ingéniosité de l’inévitable valet, en l’occurrence Tristán, l’aide de Teodoro.
L’adaptation filmée de
Pilar Miró a remporté sept prix Goya, dont ceux de la meilleure actrice (Emma
Suárez) et du meilleur réalisateur. En ce qui me concerne, ce film fait partie de
mon Top 5.
La première raison, c’est sa beauté visuelle, tant et si bien qu’on pourrait couper le son :
le décor, les costumes, la lumière, tout est plaisir des yeux. Ensuite, il y a
cette jolie trouvaille des intermèdes où l’on assiste à des scènes
musicales : une promenade mondaine dans un parc, des enfants qui dansent,
les jeux de lumière et d’eau d’une fontaine. On se croirait dans un tableau de
Velázquez.
Le plus beau réside bien
sûr dans le texte, dans sa subtilité :
Diana
« Amar por ver amar, envidia ha sido, « Aimer
de voir aimer, c’est de l’envie,
Y primero que amar estar celosa Et être jalouse avant d’aimer
Es invención de amor maravillosa Est une merveilleuse invention d’amour
Y que por imposible se ha tenido. » Jusque-là tenue pour impossible. »
Teodoro
« Querer por ver querer, envidia fuera, « Aimer
de voir aimer serait effectivement de l’envie
Si quien lo vio, sin amar no amará, Si
l’amour n’avait précédé la vue ;
Porque sí antes de amar, no amar pensara, Car
si l’on ne pensait pas aimer avant d’aimer
Después no amará, puesto que amar viera. » Voir aimer n’inspirerait pas une telle déraison. »
Mais aussi dans l’étourdissement de la langue qui traduit l’étourdissement des sens. La première fois que j’ai vu le film, j’ai éclaté de rire et de bonheur à cette remarque :
« Teodoro, « Théodore
tú te partes, yo te adoro » Tu
t’en vas, et moi, je t’adore. »
Le jeu de mots est si simple, si évident, et en même temps si frais, si sincère.
Les fois suivantes, j’ai
été plus sensible aux subtilités rhétoriques sur l’amour. J’aime comment Diana
avoue son amour sans le dire. J’aime sa transparence effrontée en même temps
que son orgueilleuse retenue : elle aime, a peur de ne pas être aimée,
craint de devoir renoncer à son amour. Elle croît en audace en même temps qu’en
autorité, crie, pleure, puis demande pardon. C'est une femme magistralement
amoureuse. Finalement, quand elle comprend qu’elle va avoir l’amour sans perdre
l’honneur, elle laisse éclater sa joie :
« Tente, fortuna « Arrête-toi, Fortune,
como
dijo Teodoro, tente, tente. » Comme
l’a dit Teodoro, arrête, arrête »
A chaque fois, je ne peux m’empêcher de sentir mon cœur exploser autant que le sien. A mes yeux, c’est une marque de l’immense talent de Lope : il nous fait entrer dans la pièce, au propre comme au figuré.
Morte à 57 ans,
Pilar Miró n’a pas eu le temps de réaliser beaucoup de films : je n’en ai
vu que deux, El crimen de Cuenca
(1979) et El perro del hortelano
(1996). J’ai découvert une artiste au registre très ample, capable de dénoncer
l’horreur tout autant que d’exalter la beauté, douée pour le détail qui
épouvante autant que celui qui émerveille.