lundi 8 octobre 2012

Deux livres, une histoire : Quand souffle le vent du nord et La septième vague (Daniel Glattauer)

Daniel GLATTAUER
(Né en 1960)


Quand souffle le vent du nord
(Gut gegen Nordwind)
La septième vague
(Alle sieben Wellen)

Plusieurs chroniques comparent l’héroïne de ce roman à Madame Bovary, sans doute à cause de leurs prénoms : Emma Bovary, Emmi (diminutif d’Emma) Rothner. Je m’insurge ! Je dirais même qu’Emmi est l’anti Madame Bovary. Si au début du roman de Flaubert, on ressent une certaine sympathie, voire de la compassion pour Emma, elle évolue de façon assez négative pour devenir franchement agaçante. Sa mort résume ce qu’elle est : une irresponsable et une égocentrique de première.
Emmi, elle, est on ne peut plus antipathique au début du roman : imbue d’elle-même, sûre de sa beauté et de son ascendant sur les hommes, donneuse de leçons, possessive. Par ailleurs, Bernhard, son mari, a l'air assez sexy (quarantaine grisonnante et une certaine sensualité) ; il est surtout bien plus subtil que Charles Bovary, et beaucoup moins passif.
Emmi veut attirer l’amour pas le vivre elle-même, sans doute parce qu’elle ne LE connaît pas si bien que ça. Surtout, elle ne SE connaît pas si bien que ça (j’ai pris son tic de mettre en majuscule les mots qu’elle veut souligner) :

Leo : « Plaire, plaire, plaire. Est-ce vraiment si important ? »
Emmi : « Oui, c’est hyper important, monsieur le théologien moraliste. Au moins pour moi. J’aime 1. qu’on me plaise. Et j’aime 2. plaire. »
Leo : « N’est-ce pas suffisant si vous 3. vous plaisez à vous-même ? »
Emmi : « Non, je suis bien trop prétentieuse pour cela. De plus, il est un peu plus facile de se plaire à soi-même quand on plaît aux autres. »

Emmi me fait plus penser à une Princesse de Clèves… à l’envers ! Elle est mariée à un homme plus âgé, contrairement à l'héroïne de Madame de La Fayette qui a épousé un homme de son âge mais est tombée amoureuse d'un homme plus âgé. Ce dernier lui apporte stabilité mais surtout une vie entamée, notamment des enfants qu’elle n’a pas portés (un petit peu Scarlett aussi notre Emmi). Elle a "reconstruit" Bernhard, détruit par un veuvage brutal, et semble s'être inscrite dans la vie comme la pièce d’un puzzle. Emmi a besoin de se sentir nécessaire pour mieux s’oublier. C’est ce qui la perturbe chez Leo car, au fond, il n’a pas besoin d’elle.
Soyons claire : ce sentiment d’Emmi face à la dépendance que les autres ont d’elle est une forme assez perverse d’égocentrisme. Elle ne le sait pas, Leo l’a deviné. Il lui refuse ce plaisir et lui tend ainsi un miroir. Lentement, elle y discerne ses attentes les plus profondes, les failles de sa personnalité.
Alors, Emmi bascule.
Son égocentrique désir d’être nécessaire devient un désir véridique de Leo, plus exactement de ses mails. Elle passe de l’allumeuse superficielle à l’Amoureuse. Elle exige, revendique. Elle n’en est encore qu’aux prémices de la découverte amoureuse. Leo l’observe, la teste, la laisse lentement venir à lui (il a un peu du renard de Saint-Ex’ notre Leo). Il sait que l’amour est don de soi en même temps que perte de soi, qu’il est victoire autant que défaite, qu’il est désir autant que frustration. Il amène ainsi lentement Emmi à avoir besoin de lui, et y parvient sous la forme de cet appel à l’aide contre le vent du nord, métaphore de toutes les angoisses, de tout ce dont Emmi a peur (l’amour) mais qu’elle désire (aimer).

C’est un beau portrait féminin que nous offre Daniel Glattauer (cela change des succédanés de femmes de Murakami par exemple). Emmi est subtile, amusante en même temps que franchement pénible. On la voit se débattre dans ses contradictions et, quand on n'a pas envie de la gifler, on souffre avec elle. Leo est moins ostentatoire parce qu’il est franc. Il est lui-même. Il est le point fixe de cette relation. J’ai parfois eu l’impression qu’il était la lampe autour de laquelle Emmi tournait comme une mouche, attentive à ne pas se brûler les ailes, mais ne pouvant s’éloigner de la lumière que Leo lui offrait.

Emmi a beau ironiser, se montrer incisive, sarcastique, Leo est le plus fort des deux. Il aime, très vite, très fort. Emmi tombe enfin amoureuse mais reste dans les mots. L’acte lui fait encore peur. Leo prend la décision qui s’impose.

A suivre…

Daniel Glattauer a en effet écrit une suite, La septième vague. Cette fois, les rôles s’inversent et Emmi prend le dessus. Elle sait qu'elle est amoureuse même si elle résiste. C'est Leo qui a capitulé et s'est laissé embarquer dans une relation "raisonnable". Cette guerre pour l’amour s’intensifie, devient parfois cruelle, mais aussi plus authentique. Emmi lutte pour que Leo se rende, sans condition, mais il se méfie : Emmi est encore mariée et il se souvient du magistral lapin qu'elle lui a posé à la fin de la première partie.


Dans une jolie interview sur un roman non traduit en français à l'heure où j'écris (Ewig Dein)[1], l'auteur avoue privilégier les happy ends. A l'évidence cependant, ce qui l’intéresse, c’est le chemin. Pour être long (plus de trois ans d’échange de mails), il n’en est pas moins magistral. Ou ceci à cause de cela.

Quand souffle le vent du nord, traduit de l'allemand par Anne-Sophie Anglaret, Grasset, 2010, 348 pages
La septième vague, traduit de l'allemand par Anne-Sophie Anglaret, Grasset, 2011, 348 pages


[1] http://www.youtube.com/watch?v=pNyZWMt9r3Q&feature=player_detailpage (en allemand)
Il y dit notamment : "Amour et possession sont deux choses différentes. Celui qui aime ne veut pas posséder. Celui qui aime veut faire du bien à l'autre. Quand on aime, le but est que l'autre aille bien. Quand on aime mal, on pense aimer mais c'est pour aller bien soi-même. (...) Une bonne relation amoureuse, c'est une relation qui a l'air incroyablement libre et ouverte mais qui n'a pas besoin de ça !"

 

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