jeudi 13 septembre 2012

Un livre : Le chapeau de Mitterrand (Antoine Laurain)

Antoine LAURAIN


Le Chapeau de Mitterrand


Un soir d’hiver 1986, Daniel Mercier, célibataire provisoire car femme et enfant sont en voyage, décide de s’offrir un plateau de fruits de mer dans une grande brasserie parisienne. Daniel, obéissant à une impulsion soudaine, n’a bien entendu pas réservé et aucune table n’est libre. Sur ces entrefaites, un client appelle pour décommander : est-ce de la chance… ou ce qu’on appelle le destin ?
Après une mise en bouche fort alléchante pour ceux qui aiment les huîtres et le vinaigre à l’échalote, Daniel voit arriver trois nouveaux clients à la table voisine. Ebahi, il reconnaît aisément l’un d’eux à son écharpe rouge et son chapeau : le Président de la République ! Suit une scène d’une réjouissante cocasserie :

« Daniel se resservit un plein verre qu’il but presque d’un trait, avant de prendre une cuillerée de vinaigre rouge aux échalotes pour en napper une huître. ʺJe l’ai dit à Helmut Kohl la semaine dernière…ʺ La voix de François Mitterrand accompagna sa dégustation et Daniel se dit que plus jamais il ne mangerait d’huîtres au vinaigre sans entendre : « Je l’ai dit à Helmut Kohl la semaine dernière.ʺ »

Après le départ du Président, Daniel se rend compte que ce dernier a oublié son chapeau. Il le prend et le garde. Sa vie va s’en trouver changée.

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas.[1] »
L’idée de mêler grande et petite histoire est ici rondement menée. Sans parler de ce voyage nostalgique dans les années 1980 et ses repères : C’est la ouate de Catherine Loeb, les colonnes de Buren et le JT d’Yves Mourousi, entre autres. Quant au leitmotiv du chapeau, il est génial. Cette métaphore de la « force tranquille » permettant de se dépasser va affecter Daniel qui osera s’affirmer dans son travail et obtiendra une promotion. Mais Daniel à son tour oubliera le chapeau. Le couvre-chef présidentiel connaîtra ainsi plusieurs propriétaires avant de revenir à son illustre premier. Converti en incarnation de ces « forces de l’esprit », ce chapeau aura bouleversé la vie de quatre Français.
Le mélancolique côtoie le burlesque, tel ce personnage de grand bourgeois qui, ʺinspiréʺ par le chapeau, décidera de ne plus lire Le Figaro et de le remplacer … par Libé ! Le rocambolesque s’invite car les services secrets suivent la trace du chapeau et de ses propriétaires successifs. Mercier, le seul à SAVOIR à qui il appartient, finit par le retrouver. Le récit se termine alors sur une rencontre émouvante entre Mitterrand et Mercier dans un café de Venise.

« La récompense, [Mercier] la vivait. Plus qu’une récompense, un désir, un souhait, un vœu avait été exaucé. Il était devenu le quatrième convive. »

Seules quelques pages consacrées au personnage de Bernard Lavallière (le grand bourgeois), celles qui décrivent la première partie du dîner chez les Vaulnoy, m’ont paru jurer. Le ton jusqu’alors ironique, mélancolique, empathique, burlesque, tragi-comique, dérape et tient plus du règlement de comptes que de la fiction. Sans doute aurait-il fallu concentrer cette satire de six pages pour la garder dans la tonalité générale.

Qu’à cela ne tienne ! Cette fable d’Antoine Laurain est intelligente, écrite avec brio mais surtout follement divertissante.


(Flammarion, 2012, 212 pages)



[1] François Mitterrand, lors de son allocution du 31 décembre 1994. Cité par Antoine Laurain.

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