lundi 24 septembre 2012

Un livre et un film : The Commitments (Roddy Doyle)

Roddy DOYLE
(Né en 1958)

 

The Commitments
(The Commitments)



Comme sans doute beaucoup d’entre vous, j’avais vu dans les années 1990 les films The Snapper (1993) et The Van (1997) de Stephen Frears. Je savais que c’était une trilogie et qu’il me manquait le premier, The Commitments d’Alan Parker (1991). Je savais aussi que ces films étaient inspirés d’une trilogie écrite par le romancier irlandais Roddy Doyle. Au cours des années qui ont suivi, j’ai revu plus d’une fois The Snapper qui est le préféré des deux que je connais, et me disais à chaque fois que je devrais voir celui qui manquait. Le temps passa…
Il y a quelques semaines, alors que je traînais du côté du boulevard Voltaire, je suis tombée sur une librairie qui vendait des livres d’occasion. En chinant, je tombe sur le premier tome de cette Trilogie de Barrytown. Je l’achète et me plonge dedans. Je ris, je pianote sans arrêt sur Itunes pour écouter les chansons citées puis tape du pied en mesure à la lecture des « Hou, Hou, Hou » qui parsèment le texte. Mon esprit est balloté entre expérience livresque et musicale simultanée, expérience rare mais oh combien revigorante et rythmique !
De quoi ça parle ? D’un groupe de jeunes Dublinois, au chômage ou coincés dans des boulots merdiques (je m’adapte au langage du roman). Ils ont toutefois une passion en commun : la musique. Jimmy Rabbitte, le plus déterminé à sortir de ce bourbier social, ne serait-ce que le temps d’un rêve, va les rassembler pour créer un groupe de soul dublinoise. Il voit dans leurs « engagements » respectifs (nom qu’il donne au groupe, The Commitments) une forme de rébellion sociale qui se verbalise lorsque Jimmy expose le  projet du groupe qu’il voit avant tout politique :

« Ouais,  la politique… (…) La politique réelle. (Ils ne le suivaient pas)… Vous êtes d’où ? (Il répondit lui-même à la question.)… De Dublin. (Il en posa une autre.) De quel coin ? Barrytown. Classe sociale ? Ouvrière. Vous en êtes fiers ? Ouais, vous en êtes fiers. (Enfin, une question positive.) Qui achète le plus de disques ? La classe ouvrière. Vous me suivez ? (Pas vraiment.)… Votre musique doit parler de vos origines, et du peuple dont vous êtes issus. Dites-le une fois et dites-le fort : je suis noir et j’en suis fier.
Ils le dévisagèrent…
-James Brown. Vous saviez que… peu importe. Il chantait ça… Et il a fait un tabac.
La suite les frappa de stupeur.
-Les mecs, les Irlandais sont les nègres de l’Europe.
Ils manquèrent d’en perdre le souffle : ça, c’était vraiment vrai.
-Et les Dublinois sont les nègres de l’Irlande. Ce sont ces cons de ploucs qui ont tout. Les habitants du nord de Dublin sont les nègres de Dublin… Répétez-le à voix haute : Je suis noir et j’en suis fier.
Il grimaça un sourire. Même lui était de nouveau impressionné.
Il les avait subjugués. Ils étaient babas. 
(…)
-Tu veux bien être notre manager, Jimmy ? fit Derek.
-Ouais. Je veux bien. »

Derrière cet humour teinté d’ironie (le concept de ʺnégritude blancheʺ), la revendication est limpide : critique de la colonisation britannique, sublimation de la classe ouvrière.
C’est ainsi que, tout au long du livre, les « doum doum doum »  et les chansons que le groupe interprète magnifient le gris bleu de la misère dublinoise autant que le désespoir d’une population dont le sentiment majeur est celui de se sentir exclue : « As I walk this land / Of broke-en / drea-ea-eams… » (What Becomes of the Brokenhearted, Jimmy Ruffin, 1966).
Le livre terminé, j’ai hâte de voir le film, histoire de revivre le livre en live. Il ne fait aucun doute que d’aucuns y seront plus sensibles qu’au roman qui relève le pari difficile de créer un texte musical qui soit plus populaire que poétique, de tenter ainsi de recréer une forme d’oralité. Par ailleurs, il serait illusoire de nier que le film possède une bande son qui emporte. Mais ce n’est pas du tout la même expérience. Le roman suggère, incite au plaisir de la découverte, à lire les partitions entre les lignes ; le film vous apporte cela tout prêt sur un plateau. En ce qui me concerne, les deux sont nécessaires.
D'ailleurs, une absence dans le film m’a déçue. Dans le roman, une chanson s’élève au rang d’hymne : Night train (Jimmy Forest, 1951). Je l’attendais avec impatience car elle me semble être l’essence du groupe et par là même du roman. En vain. En fait, la bande son du film est différente de celle du roman. Soyons positifs et disons que notre culture soul en ressort plus riche.
Lire le roman de Doyle puis voir le film qui en a été tiré, pour la gourmande que je suis, c'est un peu comme contempler un macaron au café puis le manger. Entre les deux, il y a le désir. Comme le rappelle si bien Sancho Pança : « Quand on n’a plus rien à désirer, tout est dit. » C’est pourquoi je prends la décision de lire les deux autres tomes de la trilogie avant de revoir les films qu’ils ont inspirés. Peut-être vous en reparlerai-je.

La Trilogie de Barrytown (romans)
The Commitments (1987) trad. d'Isabelle Delord-Philippe, Robert Laffont, 177 pages
The Snapper (1990), trad. de Bernard Cohen, Robert Laffont, 247 pages
The Van (1991), trad. de Isabelle Py Balibar, Robert Laffont, 343 pages

La trilogie de Barrytown (films)
The Commitments, film d’Alan Parker (1991)
The Snapper, film de Stephen Frears (1993)
The Van, film de Stephen Frears (1997)

jeudi 13 septembre 2012

Un livre : Le chapeau de Mitterrand (Antoine Laurain)

Antoine LAURAIN


Le Chapeau de Mitterrand


Un soir d’hiver 1986, Daniel Mercier, célibataire provisoire car femme et enfant sont en voyage, décide de s’offrir un plateau de fruits de mer dans une grande brasserie parisienne. Daniel, obéissant à une impulsion soudaine, n’a bien entendu pas réservé et aucune table n’est libre. Sur ces entrefaites, un client appelle pour décommander : est-ce de la chance… ou ce qu’on appelle le destin ?
Après une mise en bouche fort alléchante pour ceux qui aiment les huîtres et le vinaigre à l’échalote, Daniel voit arriver trois nouveaux clients à la table voisine. Ebahi, il reconnaît aisément l’un d’eux à son écharpe rouge et son chapeau : le Président de la République ! Suit une scène d’une réjouissante cocasserie :

« Daniel se resservit un plein verre qu’il but presque d’un trait, avant de prendre une cuillerée de vinaigre rouge aux échalotes pour en napper une huître. ʺJe l’ai dit à Helmut Kohl la semaine dernière…ʺ La voix de François Mitterrand accompagna sa dégustation et Daniel se dit que plus jamais il ne mangerait d’huîtres au vinaigre sans entendre : « Je l’ai dit à Helmut Kohl la semaine dernière.ʺ »

Après le départ du Président, Daniel se rend compte que ce dernier a oublié son chapeau. Il le prend et le garde. Sa vie va s’en trouver changée.

« Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas.[1] »
L’idée de mêler grande et petite histoire est ici rondement menée. Sans parler de ce voyage nostalgique dans les années 1980 et ses repères : C’est la ouate de Catherine Loeb, les colonnes de Buren et le JT d’Yves Mourousi, entre autres. Quant au leitmotiv du chapeau, il est génial. Cette métaphore de la « force tranquille » permettant de se dépasser va affecter Daniel qui osera s’affirmer dans son travail et obtiendra une promotion. Mais Daniel à son tour oubliera le chapeau. Le couvre-chef présidentiel connaîtra ainsi plusieurs propriétaires avant de revenir à son illustre premier. Converti en incarnation de ces « forces de l’esprit », ce chapeau aura bouleversé la vie de quatre Français.
Le mélancolique côtoie le burlesque, tel ce personnage de grand bourgeois qui, ʺinspiréʺ par le chapeau, décidera de ne plus lire Le Figaro et de le remplacer … par Libé ! Le rocambolesque s’invite car les services secrets suivent la trace du chapeau et de ses propriétaires successifs. Mercier, le seul à SAVOIR à qui il appartient, finit par le retrouver. Le récit se termine alors sur une rencontre émouvante entre Mitterrand et Mercier dans un café de Venise.

« La récompense, [Mercier] la vivait. Plus qu’une récompense, un désir, un souhait, un vœu avait été exaucé. Il était devenu le quatrième convive. »

Seules quelques pages consacrées au personnage de Bernard Lavallière (le grand bourgeois), celles qui décrivent la première partie du dîner chez les Vaulnoy, m’ont paru jurer. Le ton jusqu’alors ironique, mélancolique, empathique, burlesque, tragi-comique, dérape et tient plus du règlement de comptes que de la fiction. Sans doute aurait-il fallu concentrer cette satire de six pages pour la garder dans la tonalité générale.

Qu’à cela ne tienne ! Cette fable d’Antoine Laurain est intelligente, écrite avec brio mais surtout follement divertissante.


(Flammarion, 2012, 212 pages)



[1] François Mitterrand, lors de son allocution du 31 décembre 1994. Cité par Antoine Laurain.