dimanche 18 mars 2012

Un livre : Un sultan à Palerme (Tariq Ali)

Tariq ALI
(né en 1943)


Un sultan à Palerme
(A Sultan in Palermo)


Ma lecture commence par un immense éclat de rire. Les premières pages sont constituées du glossaire. J’y jette un coup d’œil et je vois : « habibi : mon amour (n’a pas donné l’anglais "Hi, baby !") ». Je me dis : « Ça commence bien. ». Je continue et, à la page suivante : « mehfil : réunion ou assemblée, souvent sur invitation (n’a pas donné l’italien mafia) ». Et là, je regrette qu’il soit presque deux heures du matin et que mon temps de lecture soit limité par les bras de Morphée qui m’attendent, mais j’ai hâte d’être à demain (façon de parler, vu l’heure) pour me plonger dans ce roman historique sur la vie du géographe arabe Idrisi et de son protecteur le roi Roger de Sicile d'autant que la quatrième de couverture promet moult aventures se déroulant au XIIe siècle.

Alors, le résultat des courses ? Décevant. Très décevant même.

On apprend qu’Idrisi est amoureux de Mayya, devenue l’une des femmes de Roger, et dont il a eu une fille sans que ce dernier le sache. On apprend qu’Idrisi déteste sa femme et ses filles mais adore ses fils, ses gendres et ses deux petits-fils. Tariq Ali a beau nous dire que les deux filles d’Idrisi sont bêtes et méchantes, il n’approfondit pas trop. Je commence à m’énerver car cela sent la misogynie à cent lieues à la ronde. Mais ouf ! Idrisi fait la connaissance d’Aliénor, la fille qu’il a eue de Mayya, et il l’adore ! Il rencontre aussi Balkis, la sœur de Mayya, qui n’a pas d’enfant car son mari est stérile. Là, on se croirait presque dans un film de Rohmer : Balkis, avec la complicité de sa sœur au début pas très consentante tout de même, demande à Idrisi de lui faire un enfant ; de son côté, Roger cède Mayya à son vieil ami Idridi et on apprend qu’il a toujours su qu’Aliénor n’était pas sa fille mais il n’en éprouve aucune rancœur ; quant au mari de Balkis, il accepte qu’Idrisi fasse un enfant à sa femme. Idrisi se retrouve donc avec deux femmes éperdument amoureuses de lui. Le paradis, quoi ! Mais attendez, je vous garde le meilleur pour la fin.

Entretemps, Tariq Ali aborde quand même des sujets sérieux : la montée du pouvoir de l’Eglise et des barons normands, l’intolérance qui s’installe. Il nous raconte comment le roi - décidément très faible - accepte de sacrifier son ministre Philippe, accusé, malgré son baptême, d’être musulman de cœur. Idrisi n’est pas d’accord mais il est trop occupé à faire des enfants à ses deux femmes. Et puis, on nous dit bien que c’est Philippe qui insiste finalement pour se sacrifier. Pratique.

L’auteur nous parle aussi de la résistance musulmane qui se met en place. Il nous parle de la brutalité des barons normands. C’est là qu’est le meilleur : Mayya, cette Mayya dont Idrisi nous chantait les louanges au début du roman, cet amour de jeunesse qu’il n’avait jamais pu oublier, a été très facilement évincée par sa sœur dont Idrisi est maintenant amoureux fou. Alors voilà : Mayya, restée seule à Palerme, est violée puis assassinée par des soldats ivres. Commentaire d’Idrisi : « Ma pauvre Mayya. Pourquoi elle. Pourquoi pas moi ? ». Quelle force d’âme ! C’est seulement quand son serviteur lui dit que les soldats ont « déféqué et uriné » sur ses livres que sa « tristesse se mêle de rage » et qu’il s’exclame : « Mais ils ne respectent donc vraiment rien ! » Vous avez compris ? Les livres ont plus de valeur que Mayya, et puis justement, c’est la femme qu’il n’aime plus qui meurt. Pratique.

C’est ce que je reproche à ce roman : trop convenu, pas du tout réaliste, peu convaincant, à la limite de l’invraisemblable ou du grotesque, je ne saurais vous dire. Mais le plus grave, c’est que nous n’en apprenons pas beaucoup sur Idrisi, et le peu qu’on en sait ne nous le rend pas vraiment sympathique. Je crains que Tariq Ali essaie de nous vendre de la tolérance derrière de la faiblesse. Personnellement, à part le fait qu’Idrisi et Roger s’entendent bien, que Roger admire la civilisation musulmane, je ne vois pas très bien où est l’esprit tolérant d’Idrisi. Quant à son œuvre de géographe, elle passe un peu à l’as. Le livre que nous propose ici Tariq Ali participe plus du peace and love et du soap opera que de la vraie réflexion historique ; c’est cela qui me gêne. Les personnages ne sont pas approfondis, les relations humaines finissent par être superficielles à force de vouloir éviter les conflits. Bref, un roman peu sincère et qui rate son propos.

La tolérance n’est pas une image d’Epinal ; elle ne doit pas le devenir, et il faut oser dire les choses telles qu’elles sont.  La tolérance amoureuse qu’Ali prête à ses personnages est hors-sujet, voire ridicule dans ce contexte, car elle n’a rien à voir avec la tolérance religieuse dont parle la quatrième de couverture. Tariq Ali évite sans cesse les discussions essentielles. Par exemple, le procès puis l’exécution de Philippe (résumée en deux phrases pour cette dernière) me restent un peu en travers de la gorge. Si l’auteur voulait nous présenter Philippe comme un martyr, il fallait y mettre un peu plus de conviction.

Pourtant, ça commençait si bien…


Traduit de l’anglais par Diane Meur, Sabine Wespieser, 2007

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