dimanche 25 mars 2012

Des livres : Giménez-Bartlett et Petra Delicado

Alicia GIMÉNEZ-BARTLETT
(Née en 1951)


Les enquêtes de l'inspectrice Petra Delicado


Petra Delicado, avocate de formation, la quarantaine, sans enfant, deux fois divorcée, languit dans le service de documentation d’un commissariat de Barcelone. Nous présente-t-on encore un personnage de looser, féminin cette fois ? Non, car Petra a autre chose à faire que de s’attendrir sur elle-même. En effet, les enquêtes que lui confie son supérieur, le commissaire Coronas, ne lui laissent pas beaucoup de temps pour faire du sentiment et d’ailleurs, elle n’aime pas cela. C’est une femme rationnelle, d’aucuns diraient froide, qui croit en son métier (qu’elle n’a pourtant pas vraiment choisi), même si parfois l’horreur qu’elle trouve sur son chemin désarçonne ses illusions sur le genre humain (et elle en a !) au point de se replier sur elle-même dans sa jolie maison de la banlieue barcelonaise.

Elle a aussi la chance d’avoir pour adjoint Fermín Garzón, milieu de la cinquantaine, veuf avec un fils qui vit aux Etats-Unis, et avec lequel il n’a pas vraiment d’atomes crochus. A première vue aussi différents l’un de l’autre que peuvent l’être Laurel et Hardy, Petra et Fermín vont pourtant former une équipe très complémentaire. En premier lieu, tous deux sont des solitaires dans l’âme. Ensuite, Petra est consciencieuse et persévérante, quand Garzón est obstiné et bardé d’expérience. Par ailleurs, ils sont tous deux de bons vivants et vont souvent chercher l’inspiration devant un petit verre accompagné d’une tapa (pues, cómo no !). Tous deux désirent retrouver l’amour et saisiront toutes les opportunités qui se présenteront, sans se laisser abattre par les échecs ou les erreurs. Enfin, ils ont un solide sens de l’humour ! Certes, il y a quelques frictions car Petra n’aime pas que son adjoint se permette des réflexions qu’elle trouve déplacées. Pourtant, il a souvent raison, Garzón. Elle le sait, mais c’est une femme fière, un brin orgueilleuse. Comment je sais qu’elle le sait ? Eh bien, tout simplement parce que c’est elle-même qui raconte ses enquêtes… et ses "états d’âme".

Les affaires qu’on lui demande de résoudre sont assez sinistres. Pour exemples, les trois premières. Dans Rites de mort, on lui demande d’élucider le viol suivi de meurtre d’une jeune fille sur le bras de laquelle l’assassin a tatoué une étrange fleur. Dans Le Jour des chiens, elle doit chercher le meurtrier d’un inconnu battu à mort et retrouvé dans une ruelle sordide. Le seul témoin du crime est le chien de la victime, et Petra découvrira le monde assez spécial des éleveurs de chiens de combat mais sera aussi confrontée à la réalité sociale de l’Espagne de la fin des années 1990. Dans Les Messagers de la nuit, après avoir servi d’ambassadrice de la police espagnole lors d’une interview télévisée, elle recevra des paquets contenant des pénis humains. Cette enquête la mènera à Moscou où elle prendra conscience des liens entre la mafia russe et une secte, puis de l’étendue de cette dernière, en Espagne notamment.

Le personnage de Petra Delicado est attachant pour plusieurs raisons.
1.    Ses contradictions sur la place et les aspirations des femmes dans nos sociétés : « J’ai regardé une femme au foyer élégante, plus ou moins de mon âge, qui entrait un peu rêveuse dans un magasin de vêtements pour enfants. Bien sûr, c’était ça le bonheur, s’asseoir et voir comment tes enfants font leurs dents au lieu d’errer comme un pendule en cherchant à savoir pourquoi y’en a à qui on coupe la bite ! »
2.   Sa prise de conscience des limites humaines. Petra doit parfois constater les défaillances du système pénal. Elle livre alors aux lecteurs ses réflexions de juriste (sa formation initiale) et se heurte aux insuffisances de la justice.
3.   Son désir de foi : « Je suis un officier de police à qui il importerait peu d’entrer au couvent. La discipline, je l’ai déjà, il ne me manquerait que la paix », répond-elle à un prêtre qu’elle est amenée à interroger pour l’une de ses enquêtes. Etonnant dans la bouche d’une femme pour laquelle l’exercice de la raison est la seule possibilité de ne pas se perdre.
4.   Son côté fleur bleue : sensible à la gente masculine et assumant pleinement la nécessité de la plénitude de la chair, elle n’en reste pas moins une sentimentale de première et fonce dans les topiques sans craindre le ridicule. C’est ainsi qu’elle nous décrit son amant russe (l’inspecteur avec lequel elle collabore dans Les Messagers de la nuit) comme un être sorti tout droit d’un roman de Tolstoï : « A ses côtés j’avais l’impression d’être Anna Karénine avec le comte Vronski, seulement un peu moins angoissée. »

Pensant à Petra, je ne peux m'empêcher de penser à Pepe Carvalho, mort en 2003 avec son créateur, Manuel Vázquez Montalbán. Pepe et Petra ne se sont jamais rencontrés mais j’aime à penser que le célèbre détective aurait apprécié sa concitoyenne. Car, in fine, ce qui rend Petra attachante, c'est ce qu'elle partage avec son collègue barcelonais, à savoir un potentiel infini de compassion.


Les enquêtes de Petra Delicado aux éditions Payot / Rivages
Rites de mort (Ritos de muerte), traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 2000
Le Jour des chiens (Día de perros), traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 2002
Les Messagers de la nuit (Mensajeros de la oscuridad), traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 2003
Meurtres sur papier (Muertos de papel), traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 2004
Des serpents au paradis (Serpientes en el paraíso), traduit de l’espagnol par Alice Déon, 2007
Un bateau plein de riz (Un barco cargado de arroz), traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton et Johanna Dautzenberg, 2008
Un vide à la place du cœur (Nido vacío), traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton et Johanna Dautzenberg, 2010

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