dimanche 18 mars 2012

Un livre : Le responsable des ressources humaines (Avraham B. Yehoshua)

Avraham B. YEHOSHUA

 

Le Responsable des ressources humaines
(שליחותו של הממונה על משאבי אנוש)

Lieu : Jérusalem
Action : attentat sur un marché
Conséquence : plusieurs victimes, hôpitaux débordés, morgue surchargée

Voilà le quotidien dans la capitale israélienne tel qu’il nous est présenté. Mais cette fois, un cadavre ne peut être identifié. Seul indice : sa feuille de paye avec le nom de la société et le numéro attribué à l’employée. Vous avez noté le ʺeʺ ? Oui, la victime est une femme.

Mis au courant, un journaliste très venimeux - et au demeurant fort peu sympathique - fait paraître dans une feuille de chou locale un article condamnant l’indifférence de l’entreprise, une boulangerie ancienne et réputée, qui ne s’est à l’évidence pas rendu compte de l’absence de son employée et n’a pas déclaré sa disparition. Le directeur de l’entreprise, un octogénaire mélancolique, décide de tout mettre en œuvre pour réparer cette erreur et faire ainsi son mea culpa public : il charge son responsable des ressources humaines (dont on ne connaîtra jamais le nom) d’enquêter sur cette femme. Entre alors en scène le protagoniste de cette « Passion en trois actes », comme l’indique le sous-titre du roman.

Avraham B. Yehoshua raconte en effet le parcours intérieur de cet ancien officier quarantenaire qui, au début froid, peu ouvert et aigri par l’échec de son mariage, va s’ouvrir à la douleur et à la souffrance. Il va faire sienne la tragédie dont a été la victime Julia Ragaïev, et intérioriser le désir de son patron de réparer "la faute originelle", à savoir l’indifférence impardonnable de l’entreprise. Il va surtout prendre sur lui la faute du contremaître amoureux de la jeune femme, qui, sans prévenir le DRH, l’a renvoyée pour ne pas succomber à la tentation de l’amour. D’où l’ignorance de l’entreprise.

Il s’agit (avec La Fille que j’ai abandonnée de Shuzaku Endo) d’un des plus beaux textes sur la pénitence que j’aie jamais lu. Cette dernière va mener le DRH au fin fond d’un pays qu’on ne nomme jamais mais que l’on devine aisément. Tout au long de ce parcours, il va découvrir en lui une richesse d’émotions qui vont le surprendre autant qu’elles vont nous émouvoir : le lecteur a en effet le privilège d’assister à l’éclosion d’une humanité, à la naissance d’une conscience.

Toutefois, la beauté du roman, en-dehors du thème abordé, tient aussi aux passages en italique, à ces voix qui peuvent nous rappeler celles des Erinyes, ces déesses grecques de la vengeance, mais aussi celles de l’inconscient, telles que Juan Goytisolo nous les présente dans son très beau Pièces d’identité (Señas de identidad, 1966). Ces voix constituent en effet des intermèdes méditatifs et merveilleusement poétiques qui permettent une distorsion du point de vue. Un seul exemple :

« Il se tourna contre le mur où la flamme dansante du poêle dessinait des ombres chinoises et finit par sombrer dans le sommeil.

Mais pour nous, la flamme brûle encore, elle nous attire, nous déchire, bouleverse le temps et l’espace. Nous sommes les tentacules du rêve d’un homme, la quarantaine, ancien officier, père divorcé d’une fillette de douze ans, responsable des ressources humaines d’une entreprise, chargé d’une mission spéciale dont la première étape est le poste de garde d’une base militaire, autrefois secrète, devenue aujourd’hui un site touristique, où il est étendu sur un léger matelas, enveloppé dans une couverture militaire. Nous avons le sentiment qu’il aimerait rêver. »

Ce DRH anonyme, semble nous dire Yehoshua, c’est l’Etat d’Israël qui doit réfléchir à une certaine morale sociale. En ce sens, Le Responsable des ressources humaines est le pendant romancé d’un essai intitulé Israël, un examen moral (Calmann-Lévy, 2005). La question éthique abordée dans ce roman est celle de la responsabilité et de la dette de l’Etat d’Israël envers les victimes des attentats, et par là, du droit des membres de leur famille. Je ne vous révélerai pas la dernière phrase du roman qui nous donne la clé de ce chemin de croix parcouru par le DRH.


Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, Calmann-Lévy, 2005, 279 pages

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