samedi 31 mars 2012

Un film : La visite de la fanfare (Eran Kolirin)

La visite de la fanfare
(ביקור התזמורת)


Film franco-américano-israélien d’Eran KOLIRIN (2007)


La fanfare de la police d’Alexandrie arrive en Israël, invitée pour l’inauguration d’un centre culturel arabe. Tout semble pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’est ce qu’on croit. Premier hic : à l’aéroport, personne n’est là pour l’accueillir. Deuxième hic : à cause d’un problème de prononciation (la langue arabe ne connaît pas le son ʺpʺ), la fanfare se retrouve dans un bled paumé à la frontière du Neguev. Troisième hic : il n’y a pas de car avant le lendemain. Quatrième hic : dans ce bled, il n’y a pas d’hôtel. Nos musiciens sont alors obligés d’accepter l’hospitalité des habitants. C’est l’histoire de cette nuit que nous raconte le film.

Je l’ai vu à sa sortie en salle en France. A la fin, je ne pouvais que m’exclamer : « Un pur moment de poésie ! » J’étais sous le charme mais ne savais pas très bien pourquoi. Trois jours plus tard j’y ai traîné trois amis : ce fut le même éblouissement, partagé par tous. Cette fois-là, j’ai compris que sa lenteur est sa force, ce qui est rare pour un film. Elle laisse au spectateur le temps de l’émotion, et a le même effet que la Nature sur Rimbaud ; je pense à ce vers de Sensation : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien / Mais l’amour infini me montera dans l’âme ». J’ai eu en effet l’intime conviction que l’unique sujet de ce film, c’est l’amour : l’amour pour la musique, l’amour d’un homme pour son fils mort en partie par sa faute (un Sasson Gabbaï bourré de talent), la quête d’amour d’une femme sensuelle et généreuse (magnifique Ronit Elkabetz), l’amour pataud du jeune Papi (un Slomi Avraham plus qu’ahuri) et la leçon d’amour que lui donne Khaled (voluptueux Saleh Bakri). Cette dernière scène tient du tragi-comique ; rien que pour elle, le film vaut cent fois la peine d’être vu. Mais il y a aussi le désir d’exprimer l’amour, celui de Simon le clarinettiste (touchant Khalifa Natour) qui en est toujours à l’ouverture du concerto qu’il rêve de conclure sans toutefois y parvenir. Et in fine l'immense solitude de tous ces personnages « amoureux de l’amour ».

Quand je l’ai revu en 2009 (entretemps j’avais acheté le DVD), j’ai compris en quoi résidait sa poésie : les acteurs, le décor, la musique contribuent à donner une tonalité douce-amère qui réussit pourtant à transmettre un espoir infini. Surtout, j’ai retenu mon souffle quand, à la fin du film, Sasson Gabbaï abaisse sa main et fait ainsi exploser la musique ; c’est dans le gros plan sur sa main qu’est résumée sa passion pour son métier et, de la sorte, son bonheur d’être au monde. Cette révélation m’a frappée en plein cœur comme une leçon de modestie.

En novembre 2011, je l’ai revu pour la quatrième fois. Cette fois, ce que j’ai retenu, c’est la réflexion d’un des habitants au clarinettiste : « C’est peut-être comme ça que ton concerto se termine : ni tristement ni joyeusement, mais avec des tonnes de solitude. » Ce paradoxe entre le tonitruant du ʺtʺ et la limpidité du ʺlʺ (« tons of loneliness » en version originale) révèle toute la complexité de l’âme humaine. Tout à coup, je pense à ces vers de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. / Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,  / Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, / Ayant l’expansion des choses infinies ». Le concerto de Simon me semble alors empreint de la discordance contenue dans la diérèse, dans ce désir à la fois d’élévation et d’immobilisme.

A ce stade de cette chronique, j’ai la très nette impression qu’on ne peut parler de ce film que par étapes. Les nombreux silences entre les différents dialogues laissent en effet de la place à la réflexion. C’est pourquoi, je ne peux me défaire du sentiment que le film pénètre en nous et nous envahit. Pour moi, en tout cas, il est comme une complainte obsédante.
Quoi qu’il en soit, après ce quatrième visionnage, il apparaît évident que La Visite de la fanfare arrive en seconde place de mon panthéon cinématographique après Les Sept samouraïs de Kurosawa. Rien à voir, me direz-vous. Allez savoir !

Suite au prochain numéro. En attendant, voici une des bandes annonces :

 
Eran Kolirin

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